interviews

Sunday, March 25, 2007

1995-04-24 | Rocksound

BEAU FIXE

Avec "Creep", Radiohead avait prouvé, il y a deux ans, que les Britanniques pouvaient aussi jouer la carte grungy et faire parler d'eux aux Etats- Unis. "The Bends", nouvel album mordant et magistral produit par John Leckie, voit le groupe osciller entre Smashing Pumpkins et Nirvana. Rencontre avec Colin Greenwood, bassiste maniéré à souhait et Thom Yorke, chanteur blondinet possédé.

Autrefois, les groupes faisaient leur apprentissage en tournée et trouvaient la route du succès au bout de quelques années. Maintenant, la plupart des multinationales s'attendent à ce que leurs artistes décrochent d'entrée le gros lot. Ceci s'avère quelquefois possible dès le premier disque mais frapper d'entrée un coup de maître peut également avoir de fâcheuses conséquences. En effet, les musiciens qui ont peaufiné leur répertoire pendant un ou deux ans se voient tout à coup obligés de créer d'autres chansons alors qu'ils tournent aux quatre coins du globe. De deux choses l'une: soit ils craquent et mettent au bas mot cinq ans à concocter leur disque suivant (n'est- ce pas les Stone Roses?), soit ils font plaisir en produisant un disque bizarroïde qui déçoit leur publique (EMF) avant de recommencer le jeu de l'oie à zéro. Radiohead m'ont l'air d'être l'exception qui confirme la règle. "Pablo Honey", le premier album du quintet britannique, s'est vendu à plus d'un millon d'exemplaires mais le groupe vient de pondre "The Bends", un deuxième disque encore meilleur que le précédent. Thom Yorke (chant, guitare) et Colin Greenwood (basse) concèdent cependant que "Tout aurait pu foirer. On avait tellement tourné qu'on avait presque oublié à quoi ressemblait un studio. On savait aussi que ce disque serait extrêmement important et que, si ça ne marchait pas, les choses allaient se corser pour nous. En plus, même si on n'avait pas vraiment décidé que cet album devait à tout prix être différent, on ne voulait pas non plus que ce soit une copie-carbone du premier. D'ailleurs, on avait beaucoup progressé depuis 'Pablo Honey' sans avoir eu l'occasion de le prouver. Les répétitions s'annonçaient bien mais, une fois qu'on est entré en studio, ça a tourné au cauchemar. Finalement, on a laissé tomber pour donner quelques concerts au Japon et en Australie avant de participer à deux ou trois festivals. Lorsqu'on est rentré, on a décidé d'abandonner une partie des sessions et on a recommencé au Manor près d'Oxford. Cette fois, on était plus près de chez nous, la confiance est revenue et on a réalisé que ce n'était pas la peine de s'éterniser et que les premières prises sont souvent les meilleures", explique le chanteur.

Si le quintet d'Oxford avait le dos au mur, c'est un peu à cause du succès de "Creep" aux USA et 1993. Thom, Colin, Ed (O'Brien- guitare), Phil (Selway- batterie) et Jonny G (le frérot de Greenwood- guitare) avaient formé le groupe sur les bancs de l'école avant de signer chez EMI il y a quatre ans. Ensuite, il avaient fait leur petit bonhomme de chemin en publiant une série de EP's, ces 45 tours quatre titres si prisés des collectionneurs. Mais les médias britanniques préoccupés par Suede et The Auteurs avaient quasiment ignoré la sortie de "Pablo Honey" et de "Creep". Aux Etats- Unis, les radios alternatives commencèrent bientôt à diffuser ce titre rageur parce que , selon Colin, "ils croyaient que Radiohead était un groupe américain. J'ai également l'impression que les adolescents et les étudiants se sont identifiés un maximum aux sentiments de rejet et de dégoût que véhiculent les paroles". C'est peut- être pour ça que certains ont replacé Radiohead dans le contexte grungy de Nirvana, Pearl Jam, Beck, etc.
Thom monte sur ses grands chevaux: "Et puis quoi encore? On n'a pas pondu 'Creep' pour devenir les porte-parole d'une génération! Bien sûr, le salaud en question (c'est la traduction du titre) est un personnage frustré au possible et les guitares barbelées qui explosent tout à coup ont contribué au succès de le chanson. En fait, Jonny a un style bien à lui, influencé par les Stooges et le Pixies. Il joue ce qui lui passe par la tête et incorpore des trucs inattendus. Il tripatoullait ses boutons et ses pédales et c'est comme ça que le son de 'Creep' a enflé", confesse le chanteur qui en a "ras le bol d'analyser cette composition sous tous ses angles. Ca fait deux ans que ça dure et, franchement, ça commence à me taper sur le système. Y'a même un con de journaliste l'autre jour qui m'a demandé si je regrettais d'avoir créé cette chanson. Et puis quoi encore?"...

Qu'il le veuille ou non, "Creep" a propulsé Radiohead sur la scène internationale à un moment où des tas d'artistes originaires du Royaume-Uni avaient du mal à traverser la Manche et l'Atlantique. Mister Yorke pousse un long soupir. Il connaît la question sur le bout des doigts et admet que "la scène britannique contemple trop souvent son nombril. Les journalistes montent en épingle des nullités: ça tourne en rond, ça ne va ne va pas plus loin que Londres, Manchester et Glasgow comme un animal apeuré dans sa cage. Les maisons de disques prennent un malin plaisir à sortir plusieurs versions du même simple avec des titres bonus différents pour faire grimper le disque au hit-parade. C'est débile mais, comme ça, on se débarasse de nos fonds de tiroir. Cela dit, les yankees ne valent pas mieux même s'ils ont moins de préjugés. Là- bas, le business ronronne tranquillement comme un gros chat paresseux. Ils font des trucs bizarres comme importer le CD d'Iron Lung au lieu de le presser. Pas question de publier un single si l'album n'est pas prêt!" s'exclame-t-il.

Radiohead ont réalisé "The Bends" avec l'aide du producteur John Leckie(Stones Roses, Magazine, XTC) qui "a fait des pieds et des mains pour mettre le groupe à l'aise", affirme Colin. "En studio, il nous laissait toucher tous les boutons de la console. C'était génial, surtout lorsqu'on est allé à Abbey Road où on a mis en boîte le grand orchestre qu'on entend sur certaines plages (le grandiose Fake Plastic Trees par exemple). John voulait motiver les musiciens classiques et roulait d'énormes joints pour que l'odeur s'évapore dans leur direction. Il paraît que c'est une tradition qui remonte aux Beatles."

Justement, puisque l'on parle des Fab Four, autant évoquer les paroles de la composition intitulé "The Bends" qui font un clin d'oeil pseudo-nostalgique aux 60's. Thom me lance un drôle de regard avec son oeil gauche à motié fermé: "Quand t'es dans un groupe, on te dit constamment que les 60's étaient fabuleuses et que depuis, musicalement, tout fout le camp. Allez, écoute un peu les Beatles et leurs reprises de classiques du rock'n'roll", lance-t-il au deuxième degré. "Au bout d'un moment, t'as envie d'envoyer les nostalgiques dinguer. Mais, en même temps, quand tu tombes sur l'orgue de MacCartney à Abbey Road et tu te dis que tu as loupé le coche, que ça ne sera effectivement jamais pareil. La génération des 60's a eu une énorme influence politique et ça ne risque pas de revenir de si tôt.", ajoute le blondinet à la dégaine d'oiseau effarouché.

Le bonhomme ne paie pas de mine mais sur scène il se comporte volontiers comme un hybride électrique de Bono et de Kurt Cobain. "Planet Telex" semble ainsi prendre le relais de "Zoo TV" tandis que les ballades comme "Fake Plastic Trees" et "High and dry" évoquent la majesté dramatique de "With or without you". Yorke fait la grimace: "En fait, on a failli baptiser le truc 'Planet xerox' mais les avocats ont vite réalisé que la multinationale risquait de nous intenter un procès. Quant à 'Fake plastic trees', la mélodie me trottait dans la tête depuis belle lurette et j'ai pondu des paroles plutôt méchantes qui risque de filer la chair de poule si on les examine de plus près. Au départ, c'était juste moi et ma guitare. Puis John Leckie a embelli le résultat et, lorsque je suis de mauvaise humeur, je me dis que c'est la chanson idéale pour faire sensation dans les stades. Un soupçon de Soul Asylum, deux doigts de REM, un zeste de U2...". Thom se fout visiblement de moi et je décide de répliquer en lui demandant si "High and Dry" fait allusion au décès de Kurt Cobain. Il éclate de rire. "T'es encore à côté de la plaque! Non, dans la chanson, le type qui prend des risques pour qu'on parle de lui c'est Evil knievel, un cascadeur casse- cou qui sautait au-dessus d'énormes véhicules en moto. Finalement, il s'est planté et il a passé l'arme à gauche. J'utilise bien sûr cette métaphore pour faire également allusion aux problèmes qu'ont les rock stars mais, ne te frappe pas, on n'a pas une vie si moche que ça. Au début, des sessions, les nuages avaient l'air de s'accumuler à l'horizon mais, depuis qu'on a bouclé le disque, le temps a tourné au beau fixe."

Un bulletin météo de Radiohead? On aura tout vu!

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